CEDH, Cour (cinquième section), CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE, 16 janvier 2018, 22612/15

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Chronologie de l’affaire

Commentaires12

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www.dbfbruxelles.eu · 16 février 2018

Saisie d'une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu, le 8 février dernier, à son irrecevabilité (Charron et Merle-Montet c. France, requête n°22612/15). Les requérantes, ressortissantes françaises, mariées depuis 2014, ont sollicité l'accès à la procréation médicale assistée (« PMA ») au centre hospitalier universitaire de Toulouse, lequel n'a pas donné suite à la demande, au motif que la loi bioéthique en vigueur en France n'autorisait pas la prise en charge des couples homosexuels. Devant la Cour, les requérantes invoquaient l'article 8 …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 16 janv. 2018, n° 22612/15
Numéro(s) : 22612/15
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 12 mai 2015
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-180948
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:0116DEC002261215
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 22612/15
Marie CHARRON et Ewenne MERLE-MONTET
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 16 janvier 2018 en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 7 mai 2015,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérantes,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Les requérantes, Mme Marie Charron (« la première requérante ») et Mme Ewenne Merle-Montet (« la seconde requérante »), sont des ressortissantes françaises nées respectivement en 1982 et en 1986 et résidant à Montauban. Elles sont représentées devant la Cour par Me Caroline Mécary, avocate à Paris.

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

4.  Les requérantes sont mariées depuis le 3 mai 2014. Elles indiquent que la première d’entre elles a « un problème de fertilité ».

5.  Souhaitant avoir un enfant dans le cadre d’un projet parental qu’elles ont conçu ensemble, elles décidèrent de se tourner vers la procréation médicalement assistée (« PMA »), en vue de l’insémination de la seconde requérante. À cette fin, elles adressèrent le 3 décembre 2014 la demande suivante au centre d’assistance médicale à la procréation du centre hospitalier universitaire (« CHU ») de Toulouse :

« (...) Nous nous sommes mariées le 3 mai 2014 et aspirons à devenir mères. Aussi nous sollicitons l’accès à la procréation médicalement assistée proposée aux couples dans votre centre de PMA. À toutes fins utiles nous vous précisons que Mme Charron ne développe pas d’ovocytes de taille suffisante dans un cycle naturel (taille des ovocytes ne dépassant pas 10 mm).

Nous vous remercions de bien vouloir nous faire part des démarches à entreprendre et des examens nécessaires pour pouvoir avoir accès à une insémination avec donneur ou une fécondation in vitro en fonction de l’intervention que vous jugerez la plus adaptée. (...) »

6.  Le 15 décembre 2014, le Dr F.L. répondit qu’il ne pouvait être donné suite à la demande, au motif que « la loi Bioéthique actuellement en vigueur en France n’autorise pas la prise en charge des couples homosexuels ».

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

7.  Dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, l’article L. 2141-2 du code de la santé publique est ainsi libellé :

« L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué.

L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »

8.  Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 avril 2013 d’une demande tendant au contrôle a priori de la constitutionnalité de la loi du 17 mai 2013 « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ». Les députés et sénateurs requérants contestaient la procédure d’adoption de la loi, la procédure d’adoption de certains articles de celle-ci et la conformité à la Constitution de dix dispositions précises. S’agissant notamment d’un grief tiré de l’atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, les requérants soutenaient que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe sans réforme du droit de la filiation et de l’adoption conduirait à ce qu’une partie au moins des dispositions du code civil devienne incohérente et incompréhensibles. En particulier, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (article 13) entrait en contradiction avec l’article 16-7 du code civil – relatif à la gestation pour autrui (« GPA ») – et l’article L. 2141-2 du code de la santé publique relatif à la PMA. Le Conseil constitutionnel a statué par une décision du 17 mai 2013 (no 2013-669 DC) comprenant quatre-vingt-douze paragraphes et portant sur la série de questions procédurales et substantielles susmentionnées. En ce qui concerne le besoin de modification de la législation relative à la GPA et à la PMA, la décision est ainsi motivée:

« 44. Considérant que, d’une part, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier la portée des dispositions de l’article 16-7 du code civil aux termes desquelles : ‘toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle’; que, d’autre part, il résulte de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique que l’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d’un couple formé d’un homme et d’une femme en âge de procréer, qu’ils soient ou non mariés ; que les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ; que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; que, par suite, ni le principe d’égalité ni l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi n’imposaient qu’en ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation régissant ces différentes matières ;

45. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de ce que l’article 13 de la loi serait entaché d’inintelligibilité doivent être écartés ».

Dans un commentaire de sa décision no 2013-669 DC publié sur son site Internet, le Conseil Constitutionnel explique que les griefs relatifs à l’intelligibilité de la loi étaient peu étayés d’un point de vue constitutionnel et que, pour y répondre, il s’est livré à une lecture explicative du texte dont il était saisi et de son impact sur le droit civil. Il indique également que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, et que ce principe n’a conduit qu’à de rares censures de sa part.

9.  Dans deux avis du 22 septembre 2014 (demandes nos 1470006 et 1470007), la Cour de cassation a indiqué que le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.

GRIEF

10.  Invoquant l’article 8 de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, les requérantes se plaignent du fait que leur demande tendant à bénéficier de la PMA a été rejetée au motif que la loi française n’autorise pas la prise en charge des couples homosexuels. Elles dénoncent une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale ainsi qu’une discrimination dans l’exercice de ce droit fondée sur l’orientation sexuelle. Sur ce dernier point, elles font en particulier valoir que la situation d’un couple de femmes au regard de l’insémination artificielle est comparable à celle d’un couple hétérosexuel au sein duquel l’homme est infertile.

EN DROIT

11.  Les requérantes se plaignent du fait que leur demande tendant à bénéficier de la PMA a été rejetée au motif que la loi française n’autorise pas la prise en charge des couples homosexuels. Dénonçant une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale ainsi qu’une discrimination dans l’exercice de ce droit fondée sur l’orientation sexuelle, elles invoquent l’article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, lesquels sont ainsi libellés :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A.Les thèses des parties

1.Le Gouvernement

12.  Le Gouvernement renvoie au principe de subsidiarité et soutient que les requérantes avaient à leur disposition une voie de recours effective et accessible : elles pouvaient saisir le juge administratif de leurs griefs tirés de la Convention dans le cadre d’un recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du CHU, celle-ci étant une décision administrative individuelle défavorable. Il souligne que, lorsqu’elles exercent ce contrôle de conventionalité, les juridictions ordinaires peuvent écarter l’application de la loi française si celle-ci est incompatible avec la Convention ; elles peuvent également le faire lorsque la loi française n’est pas en elle-même « inconventionnelle » si, au regard des circonstances particulières de l’espèce, il apparaît que l’atteinte aux droits et libertés protégés par la Convention est excessive in concreto. Sur ce dernier point, le Gouvernement renvoie à un arrêt du Conseil d’État du 31 mai 2016 (CE, Ass., Mme C.A., no 396848) qui concerne le refus de l’administration française d’exporter vers l’Espagne les gamètes du mari défunt de la requérante en vue d’une insémination post mortem dans ce pays au motif que cette pratique, légale en Espagne, était illégale en France ; saisi de ce refus en référé-liberté, le Conseil d’État a constaté que les dispositions législatives françaises dont il était question n’étaient pas incompatibles avec la Convention, mais que leur application en l’espèce constituaient une ingérence disproportionnée dans les droits qu’elle garantit. Il a en conséquence ordonné qu’il soit procédé à l’exportation des gamètes vers l’Espagne.

13.  Selon le Gouvernement, les juridictions administratives n’ayant pas à ce jour été amenées à se prononcer sur des requêtes dirigées contre des refus d’accès à la PMA opposés à des couples homosexuels sur le fondement de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, on ne saurait préjuger de la position qu’elles pourraient prendre. Renvoyant aux arrêts Balogh c. Hongrie (no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004) et Sejdovic c. Italie [GC] (no 56581/00, § 46, CEDH 2006 II), il fait valoir qu’une voie de recours n’est jugée ineffective, faute de présenter des perspectives raisonnables de succès, qu’en présence d’un refus systématique des juridictions internes, caractérisé par une jurisprudence établie, de faire droit au recours dans les circonstances similaires à celles de l’espèce.

14.  Le Gouvernement ajoute que, dans le cadre du recours en excès de pouvoir, les requérantes auraient eu la possibilité – sans que cela les dispense de développer les moyens tirés de la Convention dont ils entendent saisir la Cour – de demander au juge administratif de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel, visant la conformité de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique avec les principes constitutionnels d’égalité et de respect de la vie privée et familiale. Il indique que le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur cette question à ce jour, soulignant en particulier que sa décision no 2013-669 DC (paragraphe 8 ci-dessus) ne concernait pas la constitutionnalité de cette disposition mais la conformité de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe au principe d’intelligibilité de la loi. Il en déduit aussi que l’on ne saurait voir dans cette décision un indice de la solution que les juridictions administratives pourraient adopter sur la question de la conventionalité dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

2.Les requérantes

15.  Dans leur requête, renvoyant à l’arrêt S.A.S. c. France [GC] (no 43835/11, §§ 60-61, CEDH 2014), les requérantes soutiennent qu’un recours aurait été inefficace eu égard aux motifs de la décision du Conseil constitutionnel no 2013-669 DC du 17 mai 2013.

16.  Dans leurs observations en réplique à celles du Gouvernement, les requérantes font valoir qu’un recours pour excès de pouvoir n’aurait eu aucune chance de succès dans le contexte français actuel, marqué par un fort clivage entre ceux qui sont favorables et ceux qui sont opposés à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes. Elles ajoutent que l’arrêt du Conseil d’État du 31 mai 2016 auquel se réfère le Gouvernement (paragraphe 12 ci-dessus) n’est pas pertinent. D’abord parce qu’il est postérieur au dépôt de leur requête. Ensuite parce qu’il s’agit d’un cas très particulier et très différent du leur.

17.  Quant à l’indication du Gouvernement selon laquelle elles auraient pu soulever une QPC dans le cadre du recours pour excès de pouvoir qu’elles auraient dû initier, les requérantes soulignent que le Conseil constitutionnel a pour mission de s’assurer de la conformité des textes législatifs à la Constitution, pas à la Convention ; il n’aurait donc pas examiné l’existence ou non d’une violation des articles 8 et 14 de la Convention. Elles ajoutent que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé dans sa décision du 17 mai 2013 en faveur de la constitutionnalité de la différence de traitement entre les couples homosexuels et hétérosexuels qu’opère l’article L. 2141-2 du code de la santé publique. Elles observent de plus qu’il refuse systématiquement de se substituer au législateur lorsque la question qui lui est posée se situe dans un domaine posant une question de société et qu’il n’a ainsi jamais annulé une disposition législative en raison d’une discrimination fondée sur le sexe, la religion ou l’orientation sexuelle.

B.L’appréciation de la Cour

18.  La Cour renvoie aux principes relatifs à l’épuisement des voies de recours internes tels qu’elle les a notamment énoncés dans l’arrêt Mocanu et autres c. Roumanie [GC] (nos 10865/09 et 2 autres, §§ 222-225, CEDH 2014 (extraits)) :

« 220.  Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection (Vučković et autres c. Serbie [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 69, 25 mars 2014).

221.  Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Vučković et autres, précité, § 70).

222.  L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66, et Vučković et autres, précité, § 71). Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Balogh c. Hongrie, no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II, et Vučković et autres, précité, § 74).

223.  Par contre, rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Akdivar et autres, précité, § 67, et Vučković et autres, précité, § 73). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Akdivar et autres, précité, § 71, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 70, 17 septembre 2009, et Vučković et autres, précité, § 74).

224.  Cela étant, la Cour a fréquemment souligné qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 89, série A no 13, Akdivar et autres, précité, § 69, et Vučković et autres, précité, § 76). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Akdivar et autres, précité, § 69, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 286, 26 juin 2012).

225.  En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Akdivar et autres, précité, § 68, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH 2010, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, et Vučković et autres, précité, § 77). »

19.  La Cour note que les requérantes soutiennent que leur situation s’apparente à celle de la requérante dans l’affaire S.A.S. précitée s’agissant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes.

20.  Dans cette affaire, invoquant notamment les articles 8, 9 et 14 de la Convention, la requérante se plaignait du fait que l’interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public que pose la loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010 la privait de la possibilité de revêtir le voile intégral dans l’espace public. La Cour a jugé que la requérante pouvait se dire victime, au sens de l’article 34 de la Convention, alors même qu’aucune mesure individuelle n’avait été prise à son encontre sur le fondement de cette loi. Elle a rappelé à cet égard qu’un particulier peut soutenir qu’une loi viole ses droits en l’absence d’actes individuels d’exécution, et donc se dire « victime » au sens de l’article 34, s’il est obligé de changer de comportement sous peine de poursuites ou s’il fait partie d’une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation. Elle a jugé que tel était le cas au regard de la loi du 11 octobre 2010 des femmes qui, comme la requérante, résident en France et souhaitent porter le voile intégral pour des raisons religieuses, considérant qu’elles se trouvent de ce fait devant un dilemme : soit elles se plient à l’interdiction et renoncent ainsi à se vêtir conformément au choix que leur dicte leur approche de leur religion ; soit elles ne s’y plient pas et s’exposent à des sanctions pénales (S.A.S., § 57). La Cour a ensuite rejeté la thèse du Gouvernement selon laquelle en l’absence de toute procédure interne, il devait être conclu que la requête était irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes. Elle a jugé sur ce point que cette question était dénuée de pertinence dans le contexte du système légal français dès lors qu’elle avait conclu que la requérante pouvait se dire victime en l’absence de mesure individuelle (S.A.S., § 61).

21.  Le cas des requérantes se distingue cependant significativement de celui de la requérante S.A.S. en ce qu’une mesure individuelle a été prise à leur encontre, à savoir la décision du 15 décembre 2014 par laquelle le CHU de Toulouse a rejeté leur demande tendant à ce qu’elles bénéficient d’une PMA. Or, d’une part, comme l’indique le Gouvernement, il s’agit d’une décision administrative individuelle défavorable, susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives. D’autre part, lorsqu’il est disponible, le recours en annulation pour excès de pouvoir, dans le cadre duquel il est possible de développer des moyens fondés sur une violation de la Convention, est une voie de recours interne à épuiser en principe.

22.  La question principale qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si les requérantes peuvent valablement soutenir que cette voie de recours était ineffective dans les circonstances particulières de leur cause.

23.  Un recours normalement disponible n’est pas « à épuiser » lorsqu’il est démontré dans un cas particulier qu’il se heurterait à une jurisprudence contraire établie dans des affaires similaires et qu’il serait donc voué à l’échec (voir, par exemple, Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 156, CEDH 2003 VI, Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 58, CEDH 2010 et Gas et Dubois c. France (déc.), no 25951/07, 31 août 2010). Comme indiqué précédemment, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours interne qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier qu’il n’en soit pas fait usage (voir, en plus des références mentionnées ci-dessus, Dagregorio et Mosconi c. France (déc), no 65714/11, § 29, 30 mai 2017).

24.  En l’espèce, les requérantes font valoir qu’un recours en excès de pouvoir aurait été inefficace eu égard aux motifs de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013.

25.  La Cour n’est pas convaincue par cette thèse. Certes, vu le raisonnement suivi par le Conseil Constitutionnel au point 44 de sa décision (voir le paragraphe 8 ci-dessus), cette décision pourrait être considérée comme réduisant les chances de succès d’un recours en annulation pour excès de pouvoir fondé sur l’interdiction de la discrimination que pose l’article 14 de la Convention dans la mesure où elle aurait pu influencer les juridictions administratives. On ne peut toutefois pour autant considérer que le raisonnement du Conseil Constitutionnel rendait un tel recours ineffectif.

26.  La Cour constate que le Conseil constitutionnel était saisi d’une demande tendant à l’examen de la constitutionnalité non de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique mais de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Les auteurs de la saisine dénonçaient entre autres une méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Ils estimaient dans le cadre de ce grief précis qu’en posant le principe selon lequel le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe entrait en contradiction avec l’article L. 2141-2 du code de la santé publique. Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation, considérant que ni le principe d’égalité, ni l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, n’imposaient qu’en ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation régissant notamment la PMA. À l’appui de cette conclusion, il a tout d’abord indiqué que les dispositions contestées n’avaient ni pour objet ni pour effet de modifier la portée des dispositions de l’article 16-7 du code civil aux termes desquelles « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Il a ensuite précisé qu’il résultait de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique que l’assistance médicale à la procréation avait « pour objet de remédier à l’infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d’un couple formé d’un homme et d’une femme en âge de procréer, qu’ils soient ou non mariés, que « les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe », et que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

27.  Dans cette décision, certes, le Conseil constitutionnel touche la question de la conformité avec le principe constitutionnel d’égalité de la distinction entre les couples de personnes de même sexe et les couples hétérosexuels qui résulte de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, abordant par ce biais celle de son caractère discriminatoire ou non. Il ne le fait toutefois que de manière indirecte puisque la requête dont il était saisi ne visait pas cette disposition du code de la santé publique mais la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Par ailleurs, il ne traite pas, ne serait-ce qu’indirectement, la question de la conformité de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique avec le droit constitutionnel de mener une vie familiale normale et le droit constitutionnel au respect de la vie privée, alors que la requête dont la Cour est saisie ne se fonde pas seulement sur l’interdiction de la discrimination que pose l’article 14 de la Convention, mais aussi sur le droit au respect de la vie privée et familiale que consacre l’article 8 de la Convention.

28.  De plus et surtout, comme le souligne pour l’essentiel le Gouvernement, le contrôle de conformité d’une mesure individuelle à la Convention effectué par le « juge ordinaire » est distinct du contrôle de conformité de la loi à la Constitution effectué par le Conseil constitutionnel : une mesure prise en application d’une loi dont la conformité aux dispositions constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux est établie peut être jugée incompatible avec ces mêmes droits tels qu’ils se trouvent garantis par la Convention à raison par exemple de son caractère disproportionné dans les circonstances de la cause.

29.  En d’autres termes, même si les chances de succès étaient éventuellement réduites du fait de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013, un recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du CHS de Toulouse du 15 décembre 2014 fondé sur les articles 8 et 14 de la Convention n’aurait pas été « de toute évidence voué à l’échec ».

30.  La Cour rappelle en outre que, comme cela ressort de la jurisprudence citée au paragraphe 18 ci-dessus, l’obligation d’épuiser préalablement les voies de recours internes vise, entre autre, à donner aux États membres la possibilité de redresser la situation qui fait l’objet de la requête avant de devoir répondre de leurs actes devant un organisme international. Ce principe revêt une importance particulière s’agissant de griefs tirés de l’article 8, que cet article soit pris isolément ou combiné avec l’article 14. Il est en effet primordial lorsque la Cour aborde la question complexe et délicate de la balance à opérer entre les droits et intérêts en jeu dans le cadre de l’application de cette disposition que cette balance ait préalablement été faite par les juridictions internes, celles-ci étant en principe mieux placées pour le faire (voir, mutatis mutandis, Courtney c. Irlande (déc), no 69558/10, 18 décembre 2012). Ainsi que le fait valoir le Gouvernement, à ce jour, les juridictions internes n’ont pas été amenées à se prononcer sur des requêtes dirigées contre des refus d’accès à un processus de PMA opposés à des couples homosexuels sur le fondement des dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.

31.  En définitive, vu l’importance du principe de subsidiarité (voir, notamment, Burmych et autres c. Ukraine (radiation) [GC], nos 46852/13 et al, § 218, 12 octobre 2017), la Cour estime que, faute d’avoir saisi les juridictions administratives d’un recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du CHU de Toulouse du 15 décembre 2014, les requérantes n’ont pas épuisé les voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. La requête doit donc être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 8 février 2018.

              Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente

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CEDH, Cour (cinquième section), CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE, 16 janvier 2018, 22612/15